Nous entendons le mot « comportement » tous les jours dans nos échanges, rendez-vous et séminaires avec les préventeurs et dans les CODIR. Il est aussi très présent dans les communications prévention aux salariés (politiques, discours, analyses d’accidents…).
Dans la mémoire individuelle de chaque collaborateur, le mot « comportement » a une résonance toute particulière. Il lui vient, la plupart du temps, des souvenirs : soit de l’école, soit de l’environnement familial. Et dans ces deux contextes, le mot « comportement » n’avait, en général, pas une connotation positive. On se rappelle souvent du « problème de comportement » ou du « mauvais comportement » ou du « attention à ton comportement ! ». Ce mot est donc associé à des reproches et à des problèmes. Alors, quand, des années plus tard, dans le monde professionnel, le collaborateur entend à nouveau le mot « comportement » associé à la sécurité, il l’entend avec ce bagage de souvenirs négatifs. Il le vit comme une nouvelle « agression ». Et une agression ne peut provoquer que du désintéressement ou du rejet. Ces deux références (famille et école) font, de plus, appel à des souvenirs de l’enfance où l’émetteur de l’information était l’adulte et le récepteur était l’enfant.
Quand le collaborateur se retrouve dans le monde professionnel à entendre à nouveau ce terme de « comportement », cela le replace dans une posture d’infériorité. Ce mot n’est pour autant pas forcément facile à remplacer mais nous vous proposons d’utiliser plutôt la notion de „facteur humain“, de parler des „pratiques“ ou des „façons de faire“, ce qui sera toujours plus factuel et moins agressif.
Et si le « comportement » n’était pas à l’origine des accidents ?
Nous entendons beaucoup parler du « comportement » comme une origine majeure des accidents du travail. Alors, pourquoi vous éveiller avec ce titre qui peut vous surprendre ?
Lorsque l’on demande à un préventeur ou à un manager :
« C’est quoi, pour vous, un accident de comportement ? »
Dans la réponse, on parle fréquemment des problématiques de choix de la personne. L’individu a arbitré et, à ce moment-là, face à cette situation donnée, a fait tel ou tel choix qui a généré un accident. Des choix dans une mauvaise direction alors qu’il ou elle aurait pu faire des choix évitant l’accident.
Ce contexte est donc, pour le préventeur ou le manager, un accident de comportement.
L’accident de comportement a tendance à recentrer la problématique sur l’individu.
« Mais il aurait pu faire autrement ! »
Et pourtant, les comportementalistes nous montrent bien, avec toutes sortes d’expérimentations mesurées, que si nous avions été à la place de ce salarié et dans les mêmes conditions que lui, la grande majorité d’entre nous aurait agi de la même façon.
Robert-Vincent Joule, un des plus grands chercheurs contemporains sur ce sujet, nous prouve que :
Le comportement ne tient pas à la personnalité, à des convictions ou à une conception personnelle mais à des circonstances.
Le comportement des salariés est guidé par des circonstances, par le contexte.
Prenez un salarié qui a un comportement considéré comme déviant dans une entreprise A. Ce salarié change de société. Il change de manager, d’environnement. Sa nouvelle entreprise a une culture sécurité bien plus développée. Et là, miracle ! En deux ou trois semaines, et parfois même en quelques jours, ce salarié intègre les bonnes pratiques en sécurité. Il a un « bon comportement » en prévention. Le même salarié s’est fondu dans cette culture.
Le sens de cet article est de remettre l’accent sur le fait qu’un accident dit « de comportement » est un signal du niveau de culture prévention de l’entreprise, de l’unité du service.
Il n’est pas forcément lié à l’individu. Les casse-cou existent mais ils ne sont pas si nombreux. Dans la plupart des cas, nous aurions eu le même comportement que ce salarié si nous avions été dans ces conditions.
Alors, il est essentiel de concentrer ses efforts sur l’implication de l’ensemble de la ligne managériale en prévention afin de placer tous les collaborateurs dans un environnement où ils seront « portés » véritablement par un haut niveau de culture sécurité.
La meilleure raison pour ne plus associer « comportement » et accidentologie !
Lors des interventions en CODIR ou en séminaire de préventeurs d’une entreprise qui a fortement utilisé le terme de « comportement » pour qualifier l’origine principale des accidents ou qui a développé des outils comportant le terme de comportement (visites comportementales, etc.), nous constatons que le terme a été très facilement intégré au niveau de la ligne managériale.
Et les managers sont tout à fait d’accord sur le fait que l’origine des accidents est bien due au comportement. Oui, la ligne managériale aime entendre cela. Et quand on creuse, on comprend rapidement pourquoi.
La ligne managériale se sent partiellement et parfois totalement dédouanée de sa responsabilité lorsque l’on parle d’accident de comportement. Ce n’est ni vraiment volontaire ni vraiment conscient.
C’est le piège le plus fâcheux à l’utilisation de ce terme.
Dans de nombreuses sociétés lorsque l’on débute les formations des managers, nous entendons des expressions de leur part comme :
« Nous avons atteint un bon niveau de culture sécurité mais il nous reste les accidents de comportement. »
Et si nous demandons : « Et, à votre avis, que faut-il faire maintenant ? »
La réaction est presque toujours identique, à savoir un joyeux sourire et une proposition du style :
« Ouh ! C’est que vous ne connaissez pas nos salariés ! »
« Il faudrait pouvoir mettre des claques de temps en temps… »
Hé oui ! Ce fameux mécanisme de la sanction qui viendrait résoudre les problèmes de comportement.
Bien entendu, la sanction doit exister et ce n’est pas ici le sujet mais elle n’est jamais une solution de long terme. La sanction existe mais son utilisation est souvent un échec.
Elle nous confirme, en général, les difficultés managériales. Certains managers ont du mal à faire progresser leur équipe en prévention car, au fond, ils considèrent que cela ne dépend pas vraiment d’eux. Ils cherchent à faire entrer dans le droit chemin un salarié, persuadés que le problème vient de ce dernier et pas d’eux en tant que managers.
Accompagner les managers
Ce mot « comportement » a insufflé à l’inconscient du manager que les difficultés viennent de l’autre.
Et ce qui est intéressant, c’est que ce phénomène se reproduit de façon identique lorsque l’on remonte d’un ou de quelques niveaux dans la chaîne managériale.
Alors là, ce n’est plus le comportement uniquement du salarié qui est en cause. Le directeur de région ou d’un grand site va, lui, englober aussi le comportement du manager de proximité.
Pourtant, lorsque l’on apporte les clés aux managers, ils mesurent combien leur impact est positif et efficace.
Tout l’enjeu réside donc dans l’accompagnement des managers. Ils ont généralement besoin de techniques très concrètes et simples pour intégrer la prévention dans leur management pour savoir comment réagir efficacement en cas d’écart, savoir faire progresser leur équipe, savoir faire appliquer de nouvelles règles…
Et, bien sûr, faire cela sans évoquer le terme de « comportement » !