Quel choc pour chacun d’entre nous. Depuis quelques années, nous écrivons ces deux pages en apportant des conseils pour améliorer le management ou la communication de la prévention.
Cette fois-ci, il m’est difficile d’écrire un article classique. En un mois, Graphito prévention s’est arrêtée comme des centaines d’entreprises. La plupart de nos clients gèrent une crise sans précédent. Stopper une activité, réduire une autre, réorganiser une troisième. Intégrer la prévention sans connaître véritablement ce qu’il faut faire, ne pas pouvoir apporter de solutions matérielles…
Je rends hommage à tous ces personnels, en première ligne, qui accompagnent les plus touchés. Je rends hommage à ceux, en deuxième ligne, qui assurent la production qui peut encore être réalisée. Et dans cette deuxième ligne, je pense notamment à nos clients préventeurs qui répondent à des centaines de questions sur les mesures de prévention et l’organisation du travail : quel cadre donner ? Comment rédiger une note de service alors qu’on ne connaît pas toutes les règles ? Comment réécrire la note de service datant d’une ou deux semaines car les conditions ont changé ? S’adapter, évoluer, modifier mais aussi décider, répondre et avancer sans pour autant mettre en danger la santé de ses collaborateurs.
Covid-19 : un choc économique sans précédent
Alors, au moment d’écrire cet article, au lieu de parler de management de la prévention ou de remontées d’anomalies, je pense à cet appel téléphonique reçu ce matin sur mon téléphone portable qui prend le relais du standard de Graphito.
– Allo ! Je suis bien chez Graphito ?
– Oui, c’est bien cela, je suis Fabrice Reboullet. Que peut-on faire pour vous ?
– Ha ! Bonjour ! C’est Patrice, je suis content de tomber sur toi, c’est justement avec toi que je voulais parler ! Comment vas-tu ? (Patrice est notre interlocuteur dans un grand groupe industriel français et représente une très grosse activité pour Graphito.)
– Je vais bien.
– Tu vas bien !? Cela fait plaisir d’entendre une telle réponse en cette période ! Je t’appelle pour te dire que nous devons bloquer toutes les futures commandes. On arrête tous les projets. Ce n’est pas une bonne nouvelle. J’en suis désolé mais notre groupe table sur une baisse de 30 % de fabrication cette année.
C’est évident, le Covid-19 est un choc économique pour un très grand nombre d’entreprises. C’est évident, pour Graphito Prévention qui réalise des formations, du conseil et des journées sécurité, l’activité s’est brutalement arrêtée comme pour toutes les sociétés du même secteur. Depuis plusieurs semaines maintenant, tous nos salariés sont en chômage partiel.
Mais toutefois, je vais bien. Oui, je vais bien car le Covid-19 n’a pas eu de conséquence pour nos équipes et leurs familles, à l’exception d’un de nos collaborateurs qui a été durement touché mais maintenant guéri.
Je vais bien car les mesures gouvernementales prises ont permis de réagir rapidement face à cette situation de crise. Les salariés peuvent rester chez eux et se préserver. Ils seront indemnisés et l’entreprise ne prend pas ce coût à sa charge. C’est un dispositif extraordinaire. Je vais bien car ce système nous apporte, dans cette situation exceptionnelle, un soutien indispensable et permettra la pérennité de l’entreprise et des 70 emplois.
Je vais bien car l’État a pris des décisions courageuses : notamment décréter un confinement. Cette décision a des répercussions économiques phénoménales mais elle est prise pour la santé des personnes. Grâce à de telles décisions, nous savons que des places sont encore disponibles en soins intensifs si l’un de nos proches venait à en avoir besoin.
Je vais bien car je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse prendre une telle décision avec autant d’impact économique à l’échelle d’un État, de plusieurs États. C’est un choix historique et majeur en faveur de la prévention.
Je vais bien car nous vivons certes une privation de nos libertés puisque nous avons l’interdiction de nous déplacer mais nous ne vivons pas de pénurie de nourriture ni de coupure d’électricité comme lors un conflit armé.
Je vais bien car mon confinement n’est pas difficile à vivre et je pense chaque jour à ceux qui sont mal logés, entassés ou agressés par un conjoint ou un parent violent.
Alors, oui, je vais bien mais il est vrai que cette crise a véritablement tout balayé.
Nous vivons des changements permanents. Je communiquais souvent sur le fait que notre métier avait totalement changé au cours des 10 dernières années. J’avais constaté que l’évolution du poste de chaque salarié évoluait toujours plus vite. Notre offre, nos services se doivent de changer et imposent à chaque salarié d’adapter ses tâches, sa façon de travailler.
Covid-19 : un changement imposé pour les entreprises
Mais cette fois-ci, l’impact est radical. Le Covid-19 impose aux organisations, aux préventeurs, de changer radicalement leur regard sur l’activité.
L’activité d’une entreprise comme la nôtre est remise en question. Je ne suis pas inquiet car nous savons rebondir, nous adapter, inventer. Je suis subjugué par les compétences de nos équipes dans ce domaine mais une chose au fond me fait peur.
Ce qui me fait peur, c’est que le Covid-19 nous impose une distanciation sociale, salvatrice pour le moment.
Cette distanciation indispensable va-t-elle rester comme un marqueur important dans notre management, dans nos organisations ?
Ainsi, ce qui me fait peur, c’est de voir pointer avec encore plus de force les demandes d’accompagnements individuels à la place des accompagnements collectifs.
Ce qui me fait peur, c’est que nous allons peut-être devoir remplacer l’apprentissage collectif par un apprentissage isolé, en ligne.
Ce qui me fait peur, c’est de devoir accompagner des managers pour leur apprendre à manager leur équipe tout en restant seul derrière leur ordinateur. Et ce qui me fait peur, c’est que le préventeur qui demandera cela pensera que l’approche puisse être du même niveau d’efficacité que des exercices en groupe, que des mises en situation.
Alors, bien entendu, ces outils existent mais j’ai peur que la relation entre les collaborateurs, entre les managers et leur équipe ne s’amenuise.
J’ai peur que l’on puisse penser qu’une journée sécurité en ligne soit aussi nourrissante qu’une journée sécurité ensemble.
J’ai peur que l’on puisse penser qu’une formation en e-learning apporte autant de cohésion qu’une journée entre managers.
J’ai peur que l’on puisse penser que les contenus des formations soient plus important que le ressenti, l’énergie, l’ambiance d’une journée de formation en groupe.
J’ai peur que le Covid-19 ne soit une mauvaise graine qui nous pousse à distancer nos relations aux autres, à son équipe.
Cependant, nous allons continuer ensemble avec ces nouvelles données, ces nouvelles contraintes, adapter l’organisation du travail et donc le système de management.
Notre défi reste le même : faire aimer la prévention pour que son application soit la plus naturelle possible.
Dans ce domaine, la relation humaine sera, à mon avis, toujours un fondement. L’entraide entre managers de tous niveaux et entre le manager et son équipe reste un pilier essentiel.
Le Covid-19 rebat les cartes mais les hommes qui avancent pas-à-pas sont les mêmes. Il s’agit de trouver les moyens de les sensibiliser, d’avoir de l’impact, pour leur permettre, chaque jour, d’intégrer des évolutions.
Pour réussir cela, je n’ai pas de doute sur notre énergie et notre créativité. Bien sûr, nous intégrerons toujours plus de numérique autour des formations, des journées sécurité, des ateliers, des sensibilisations, mais j’espère que la relation humaine restera fortement présente.
Nous avons une remise en question brutale qui nous est imposée.
A nous, ensemble, de trouver les réponses pour développer toujours plus de prévention.